Age et performance en cyclisme : cas des contre-la-montres et exemple de Longo

Fin septembre, je participais aux championnats de PACA de contre-la-montre Master, près d’Avignon, lors desquels je prenais la 2e place (j’en ferais sans doute un compte rendu lorsque j’aurai rattrapé mon retard ^^).

Était également présente, comme c’est souvent le cas sur les chronos régionaux, Jeannie Longo. Cette dernière s’est imposée parmi les catégories féminines, ce qui n’est pas une surprise pour qui participe et/ou suit les résultats de ce genre d’épreuves chronométrées. Elle avait d’ailleurs déjà gagné le titre l’an dernier.

Pourtant, il semble que cette année cette victoire ait fait le buzz, que ce soit dans les journaux régionaux, médias sportifs ou plus généralistes, de même que sur les réseaux sociaux :

Les commentaires en réaction de ces articles sont le plus souvent hostiles, appelant la cycliste à laisser sa place (sa poursuivante ayant presque 40 ans de moins !) ou faisant des allusions au dopage. Difficile pour le grand public d’y comprendre quelque chose : entre vitesse moyenne erronée, niveau du cyclisme féminin, ou manque de notion de base sur la performance en contre-la-montre. Je vais revenir vite fait sur les deux premiers points avant de détailler un peu plus le troisième, sujet de cet article.

Le manque de vérification des médias

Ce genre d’information, qui est de l’aveu même de certain médias (1), plus du ressort de l’insolite que des news sportives, ne fait évidemment pas l’objet de la moindre vérification. En consultant les différents articles, on constate que la plupart on reprit la même source, notamment concernant la distance du circuit, annoncé à 22.8 km.

Cette distance était bien celle des années précédentes, hors cette année un pont inondé a réduit la distance à 19 km. Alors évidemment, lorsqu’on applique le temps réalisé par Longo (28’33) pour obtenir sa moyenne, on obtient plus de 47 km/h, ce qui évidemment serait ahurissant pour une cycliste de son âge, même ancienne championne. D’où une première partie des réactions incrédules.

Difficile malgré tout de jeter la pierre à tous ces médias : même le journaliste local de La Provence annonce une distance erronée, et pour cause, le site de l’organisateur n’ayant pas été mis à jour. Idem pour le site DirectVelo, qui fait référence dans l’actualité du cyclisme amateur. La page du championnat PACA annonce 56 km/h de moyenne pour les coureurs élites (!), alors qu’une autre page plus complète (avec toutes les catégories) a bien été corrigée (moyenne de 44 km/h).

À moindre d’être sur place ou d’aller vérifier sur Strava (sic), il était compliqué de connaitre la bonne longueur du circuit.

Niveau du cyclisme féminin

Même si c’est pas très politiquement correct de l’énoncer, le niveau du cyclisme féminin est très bas, surtout dans des catégories régionales.

Il suffit d’aller sur Strava pour mesurer les watts ou w/kg des meilleures : les deux premières du championnat de France 2020 terminent leur CLM à 4.5 W/kg sur 40′, un niveau qui vous ferait terminer bon dernier chez les hommes, sans doute à plus de 10′ voire 15′ du premier. Un niveau tout juste départemental / régional chez les hommes (sauf à peser 80/90 kg, auquel cas la puissance brute prend le pas sur les W/kg.).

Chez les féminines régionales, on est évidemment encore un cran en dessous, ainsi à part Jeannie qui ce jour là est au-dessus des 40 km/h de moyenne, les autres suivent à 37/38 km/h seulement. Et pour celles qui n’ont pas de vélo de contre la montre, c’est encore plus compliqué, étant donné l’avantage du matériel sur ce genre d’épreuves !

Mais surtout, déjà que la discipline n’attire pas beaucoup de monde chez les hommes (20 chez les élites, ou 35 pour les masters, pour toute la région PACA !), c’est encore pire chez les femmes : seulement 10 classées ce jour-là Difficile d’établir une hiérarchie avec une si faible participation.

Ce dernier élément influence largement le précédent, dans lequel j’évoquais les puissances du championnat de France. On pourrait me rétorquer que la comparaison avec les hommes ne tient pas, et c’est en partie le cas. Mais lorsque les effectifs se raréfient, mécaniquement le niveau suit à la baisse. En suivant simplement l’actu des femmes de (très) loin, je ne compte plus les féminines qui après 1 ou 2 ans de courses de vélo avec les hommes dans des (très !) petites catégories (4, 5 6 FSGT par exemple), arrivent à faire le ‘jump’ dans des équipes de division nationales voire professionnelles, et parfois à plus de 35 voire 40 ans ! Impensable chez les hommes !

Performance et âge en contre la montre

On en vient au sujet principal de cet article ! Quel est l’influence de l’âge sur la performance sportive de manière globale, mais surtout, sur la performance en contre-la-montre.

Déclin de la Vo2max

Dans le sport, on a vite tendance, sans doute trop influencé par l’image du sport professionnel, à considérer comme usé et hors de forme les plus de 30 / 35 ans. Pourtant, à y regarder de plus près, on trouve des phénomènes de plus de 40 ans parmi les cyclosportifs et les spécialistes de l’effort solitaire, que ce soit en grimpée ou en chrono sur le plat. C’est également bien visible sur Zwift (on mettra de côté les profils suspects avec home trainer mal calibré).

Une des raisons à cela, c’est le ‘laisser aller‘ : avec l’âge et les obligations professionnelles et familiales la place du sport s’efface, les dérives alimentaires se mettent en place entrainant un cercle vicieux. Embonpoint, découragement pour continuer ou reprendre un sport. Voilà pourquoi on a l’image de vieux croulants de 40 ou 50 ans.

La science (2) (3) nous montre que la Vo2max (c’est-à-dire notre ‘moteur’, reflet de nos capacités sportives d’endurance) décline de 5 à 12% par décennie, dès l’âge de 30 ans (certaines études mesurent une baisse de seulement 5% pour les sujets entrainés, d’autres constatent une baisse identique entre sujets entrainés et sédentaires).

C’est conséquent, surtout si l’on part d’un sujet déjà non entrainé (42 ml/kg/min de Vo2max à 25 ans pour un sédentaire). Dans ce cas, la baisse de la VO2max à des âges avancés sera telle qu’elle va tendre vers les minimums vitaux (une Vo2max de 17.5 est nécessaire pour être indépendant au quotidien (3)). En gros, cela veut dire que sa Vo2max sera tout juste suffisante pour assurer les gestes quotidiens. On comprend mieux que pour beaucoup de personnes, l’âge est synonyme de difficulté physique.

Un sujet entrainé va également subir la même baisse de Vo2max avec les années. Mais en partant de bien plus haut (autour de 60 de Vo2max), on comprend que la courbe mettra bien plus longtemps à atteindre ce seuil de 15 à 20 ml/kg/min de Vo2max. Plus la valeur de la VO2max (déterminée en partie génétiquement) est élevée, plus on décale dans le temps son ‘âge biologique’. Illustration :

source: https://www.researchgate.net/figure/Mean-rates-of-de-c-line-in-V-O2-max-given-in-ml-kg-2-1-min-2-1-de-c-ade-2-1-A_fig3_14002469

Sur ce graphique, on constate qu’une personne de 62 ans (on revient à l’exemple de Jeannie Longo) disposant d’une bonne Vo2max et qui s’entraine en endurance est dans la même forme physique qu’un sujet sédentaire de 24 ans (!) , ou d’un sujet ‘actif de 42 ans… Et vu le palmarès de Longo, on peut considérer que l’écart à l’origine est encore plus grand. Certes, ses adversaires ne sont pas des sédentaires (encore que, il faudrait comparer le volume horaire de Longo et des cyclistes de niveau régional), mais d’autres paramètres rentrent en compte dans la performance, que nous allons détailler ci-dessous.

Le lien VO2max -> Puissance, et son temps de soutien (seuil)

La puissance en cyclisme est proportionnelle à la VO2max, elle est liée par cette formule (Hawley-Noakes ):

Vo2Max = (0.01141 * PMA + 0.435) / Poids

Avec PMA qui est la puissance maximale tenable sur 5 minutes, et le résultat en ml/kg/min.

A l’image de la VO2max, on pourrait donc en déduire que la puissance en CLM va également décliner de 10% par décennie. Sauf qu’un contre la montre ne dure pas 5 minutes, mais en général entre 20 et 35 minutes, voire beaucoup plus sur les courses de haut niveau.

La conséquence, c’est que la filière énergétique utilisée sera différente : on parle alors de seuil (ou FTP, puissance au seuil), qui est en gros la puissance tenable sur 1 heure sans dépasser un certain niveau de lactate (ce qui fait bruler les jambes, et ‘exploser’ rapidement).

Et la grosse différence entre PMA et FTP, c’est que cette dernière est très ‘entrainable’. En général la FTP vaut 75% de la PMA, mais avec un entrainement ciblé, il est possible de remonter cette valeur, et donc de mieux performer en CLM alors que sa PMA baisse !

Quand on sait que l’âge influe d’abord sur les efforts courts (à cause de la perte de masse musculaire), il n’est pas étonnant que les masters (compétiteurs de plus de 30 ans) continuent à bien se classer à des âges avancés, surtout s’ils travaillent le maintien de leur seuil.

La puissance en cyclisme, et particulièrement en contre-la-montre

Les forces d’avancement

Ce dernier point est en fait le plus important.

Il y a trois résistances qui s’opposent à l’avancée du cycliste : la pression de l’air (Ra), les frottements (Rr) et la pesanteur (g).

Sur un contre la montre (qu’on suppose plat, ce qui représente la majorité d’entre eux), la force de pesanteur n’a aucune influence, et les frottements sont à peu près négligeables devant la pression de l’air (on les négligera dans les calculs suivants).

Or, cette pression (la puissance que doit vaincre le cycliste) que l’on essaie de réduire le plus possible en contre-la-montre (position, combinaison, vélo, roues et casques spécifiques, etc.) évolue au cube de la vitesse (4).

Ceci est d’une importance capitale. Cela signifie que générer deux fois plus de puissance ne vous fera avancer qu’environ 30% plus vite. Dit autrement, doubler sa vitesse nécessite 8 fois plus de puissance !

Pour montrer cela, on peut utiliser cette démonstration simplifiée:

P= V^3

on double la vitesse :

P=(2V)^3=8.V^3

Revenons à Longo: depuis ses années au top niveau (il y a une trentaine d’années ?), elle a perdu théoriquement 30% de puissance à PMA, mais sans doute moins au seuil (et là c’est difficile de savoir : mais on va donc considérer qu’elle a aussi perdu 30% de sa FTP).

Si elle était capable de rouler à 45 de moyenne dans ses meilleures années (c’est impossible de faire une stricte comparaison, étant donné l’évolution du matériel, la différence des circuit et les conditions météos. Son record de l’heure -48 km/h- ne permet pas non plus de comparaison, étant donné les conditions qui sont idéales dans un vélodrome), sa vitesse actuelle ne sera pas abaissée de 30% (soit 31.5 km/h), mais seulement de 11% ! Démonstration :

P=V^3

perte de puissance de 30% :

0.7*P = V^3

V=(0.7P)^1/3 = 0.888*P^3

Donc pour une vitesse d’origine de 45 km/h, elle peut rouler aujourd’hui à près de : 45*0.888 soit 40 de moyenne (qui est en effet sa vitesse moyenne sur ce genre de chronos). Et 40 de moyenne cela suffit pour terminer première féminine et se classer devant pas mal d’hommes !

On peut ainsi prédire que dans 30 ans, elle explosera le record de Robert Marchand 😁 Blague à part, je suis persuadé que dans les années à venir, le niveau des masters ‘avancés’ (âgés de plus de 70 ans) va grimper en flèche. À titre d’exemple, le record de l’heure de la catégorie 80/84 ans est de 39 km/h!

On notera enfin que des ‘monstres’ biologiques existent, ainsi l’exemple de cet homme de 80 ans avec une VO2max de 50 (soit celle d’un homme de 35 ans)!

Importance de la position et de la morphologie

En contre-la-montre, la position sur le vélo est primordiale. Pour atteindre l’optimum, un vélo de CLM est indispensable. Il permet de gagner 3 à 4 km/h par rapport à un vélo de route classique, même équipé de prolongateurs.

La souplesse ainsi que l’adaptation à la position sont tout aussi importantes. Il faut être capable de se coucher sur le vélo, mais sans perdre en rendement énergétique afin de pouvoir sortir sa puissance habituelle.

En regardant les coureurs lors des CLM auquel je prends part tout au long de la saison, je constate que si certains sont très bien ‘posés’ sur leur machine, d’autres sont très redressés avec un cintre positionné très haut : ils perdent facilement 30 à 50 watts, même avec un vélo très aéro !

Ensuite, contrairement à ce que l’on croit, les petits gabarits ne sont pas forcément désavantagés sur des chronos plats. Le fait d’être plus bas, moins large (largeur d’épaules, des cuisses et des jambes) permet de gros gains aéros.

Longo en 2010

Jeannie Longo réuni tout cela : sa position sur le vélo est une des plus optimisée que j’ai pu voir. En tant qu’ex-athlète de haut niveau, elle a très probablement pu bénéficier de ce qui se fait de mieux en étude posturale et en soufflerie. Ensuite, et c’est quelque chose qui est frappant, en plus d’être petite en taille, elle est également très fine, proche du gabarit filiforme des grimpeurs masculins. Alors que les autres cyclistes féminines ont très souvent des hanches et des cuisses très larges (ce qui est biologiquement normal), pénalisants pour l’aérodynamisme.

Le contre-la- montre pour vieillir moins vite dans son sport !

Si les capacités au sprint ainsi que le punch sont les premières filières énergétiques à décliner avec l’âge (ce qui fait que les performances en course sur route vont suivre la même pente), la puissance sur des durées plus longues ne décline que progressivement, on l’a vu, de 5 à 12% par décennies.

En montée, les performances vont décliner plus rapidement que sur le plat. En effet, dans ce cas la composante aéro va devenir négligeable pour laisser la place à la composante de la gravité. Et dans ce cas-là la vitesse va être quasiment proportionnelle à la puissance (c’est d’autant plus vrai que la pente est rude). On est donc susceptible à chaque décennie de perdre 5 à 12% de vitesse en montée.

C’est pour cela que le contre-la-montre est la discipline idéale pour bien vieillir dans la pratique son sport favori !

Giuseppe Marinoni, 39 km en 1 heure à 80 ans !

Je vais prendre l’exemple de ce championnat PACA, que je boucle à 43.2 km/h de moyenne, avec 277 watts de moyenne.

Dans 20 ans (j’aurais 62 ans 😅), on va dire que je perdrai 20% de ma puissance (j’espère moins tout de même 😅, étant donné que la fourchette est de 5-12% par décennie). Cela me donnerait 222 watts, ce qui représente une grosse perte de puissance. Mais au niveau de la vitesse, la perte sera inférieure à 10% (8.2%), me permettant de rouler à près de 40 de moyenne, soit en milieu de classement. Avec une perte limitée à 5% par 10 ans, le top 10 serait toujours envisageable !

Pourquoi espérer une perte inférieure à 10%? Car les études qui calculent les pertes de puissance avec l’âge constatent qu’une bonne part de cette baisse de niveau est due à une baisse de l’entrainement. Cause ou conséquence ? S’entraine-t-on moins car on a moins envie, ou moins les capacités pour cela ? Dans l’exemple que j’ai donné plus haut de la personne de 80 ans avec une VO2max de jeune homme, cette dernière n’a jamais cessé d’être active et de participer à des courses de ski de longue distance.

De plus, cette baisse n’est valable que si l’on a déjà atteint son optimum, ou si l’on ne change pas (tant en qualité qu’en quantité) son entrainement. Un jeune de 20 ans qui s’entraine 3 heures par semaine sera plus fort à 60 ans s’il passe à 10 heures par semaine. Si je prends mon cas, je suis bien plus fort à 42 ans qu’à 20 ans (sauf sans doute en termes de punch et sprint), et j’ai battu tous mes records de puissance lors ce printemps confiné, alors que je m’entraine au capteur depuis 2015 ! Et cela alors que je roulais déjà pas mal à 20 ans, même si j’ai fait un break d’une dizaine d’années entre temps.

Robert Marchand, exemple de longévité (73e français le plus âgé et 5e homme. Source : https://centenaires-francais.forumactif.org/t135-palmares-des-francais-les-plus-ages-en-vie )

Enfin, pour conclure je dirais qu’il est important de ‘rester jeune’ dans sa tête. Rien de plus pénible d’entendre des résignations de type ‘ce n’est plus de mon âge’, ‘à mon âge’, etc. Sauf condition médicale particulière, l’organisme est fait pour bouger, et c’est au contraire en ne faisant pas d’effort que ce dernier s’use. Et par effort, j’inclue également les efforts violents : ces derniers sont autant, voire plus bénéfiques que l’endurance pour l’organisme. Un dernier point, ne pas négliger la musculation avec l’avancée en âge, afin de lutter contre la sarcopénie, c’est-à-dire la perte inéluctable de muscles avec l’âge, mais également afin de renforcer sa santé osseuse ! (5)

(1) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-etoile-du-jour/a-bientot-62-ans-jeannie-longo-a-encore-gagne-une-course-cycliste_4108865.html

(2) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2361923/

(3) https://www.bioscience.org/2018/v23/af/4657/2.htm#:~:text=Recently%2C%20a%20population%2Dbased%20follow,described%20by%20Myers%20et%20al.

(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Bicycle_performance

(5) https://www.lanutrition.fr/les-news/faire-de-la-musculation-pour-des-os-solides

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